1 September 2020

Les projets de développement cofinancés démontrent la nécessité de mécanismes de redevabilité dans les investissements d’impact

Disponible en anglais et espangol 

Les mécanismes de redevabilité aident les investisseurs de projets de développement à savoir si leurs investissements ont atteint les objectifs visés. Pour cela, ils offrent aux personnes directement concernées par ces projets, une plateforme d’échange avec les décideurs sur les problèmes rencontrés sur place. Il est dès lors surprenant que peu d’investisseurs d’impact, visant à produire des effets positifs par leurs investissements, aient adopté de tels dispositifs de gestion des réclamations. Cela étant, comme ces investisseurs cofinancent parfois des projets avec des institutions financières de développement disposant de leurs propres mécanismes de redevabilité, il existe des études de cas illustrant les bénéfices de ces mécanismes pour les investisseurs. Alors qu’Accountability Counsel a tiré les leçons de son travail auprès de plusieurs communautés au Libéria, au Mexique et en Birmanie notamment, j’ai cherché à identifier d’autres cas où des investisseurs, qui ne disposent pas de tels dispositifs, ont pu connaitre les conséquences négatives de leurs investissements grâce aux mécanismes indépendants des institutions financières de développement utilisés par les communautés locales.

Pour répondre à cette question, je me suis appuyé sur l’Accountability Console : une base de données qui regroupe l’essentiel des plaintes adressées aux mécanismes de redevabilité existants, pour des faits de préjudices sociaux et environnementaux causés par des projets financés au niveau international. Les documents relatifs à ces cas étant consultables, j’ai pu filtrer certains projets cofinancés visant un impact positif spécifique – par exemple, l’énergie propre ou la sécurité alimentaire – et les comparer ensuite avec leurs impacts réels vérifiés de manière indépendante. Les résultats confirment que les mécanismes indépendants de redevabilité aident les investisseurs à mieux comprendre les impacts réels de leurs projets, en écoutant les communautés les plus touchées par ces investissements. Vous trouverez ci-dessous trois études de cas qui illustrent ce constat[1] :

Une énergie propre qui cause des préjudices involontaires

Le premier cas concerne le Projet d’Expansion de l’électricité au Kenya (appelé “KenGen“), qui a été présenté dans le cadre de la stratégie kenyane de développement des énergies propres et d’accès à l’électricité dans tout le pays. Ce projet a été financé par de nombreux bailleurs de fonds, dont la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence française de développement, la Banque mondiale et l’Agence japonaise de coopération internationale, qui ont toutes des mécanismes indépendants de recours, et la Kreditanstalt Fur Wiederaufbau (Kfw) allemande, qui n’en a pas.

Le projet a permis de développer une centrale géothermique dans la région du Grand Olkaria, à environ 120 kilomètres au nord-ouest de Nairobi, tout en nécessitant le déplacement d’une communauté Massaï. Cette communauté a dénoncé des échecs en matière de consultation et un plan de réinstallation inadéquat, ayant entrainés des conséquences négatives dont l’appauvrissement de la communauté, des problèmes de logement et de vie communautaire, des expulsions, l’inadéquation du nouveau site à certaines activités et la menace de représailles.

En 2014, les communautés ont déposé des plaintes devant le Panel d’inspection de la Banque mondiale et le mécanisme de traitement des plaintes (CM) de la BEI, qui ont signé un mémorandum pour travailler conjointement à la résolution de ces problèmes. Après que le Panel d’inspection ait constaté un non-respect des politiques de la Banque mondiale concernant les peuples autochtones, un processus de médiation a eu lieu, dirigé par le Compliance Mechanism de la BEI et soutenu par le Service de règlement des plaintes de la Banque mondiale. Dès lors, le plan d’action créé par la direction de la Banque prévoyait le rétablissement des moyens de subsistance, le transfert des titres fonciers, la construction de routes d’accès et de maisons pour d’autres personnes affectées par le projet, des bourses d’études et un approvisionnement en eau. Bien que le processus issu de ces mécanismes de résolution des conflits ait posé quelques difficultés, les mesures positives du plan d’action n’auraient pas été possibles sans l’existence d’un tel mécanisme permettant de faire la lumière sur les conséquences imprévues du projet.

Le deuxième cas se trouve au Costa Rica, qui s’est donné pour objectif que 100 % de son électricité provienne d’énergies renouvelables. Pour atteindre cet objectif, de nombreux investisseurs – dont la Banque interaméricaine de développement (BID), la Société financière internationale (SFI), la Banque centraméricaine d’intégration économique (un intermédiaire de la BEI), et quatre banques basées au Costa Rica (Banco Nacional, Bancrédito ainsi que Banco de Costa Rica, et Banco Popular, ces deux dernières banques étant membres du Pacte mondial des Nations unies) – ont investi dans le projet Reventazon. Il s’agit du plus grand projet hydroélectrique d’Amérique centrale, avec une capacité installée de 305,5 MW. Le projet a été salué pour son engagement en faveur de la durabilité, et a même reçu le prix Planète bleue de l’IHA.

Les communautés locales s’inquiétaient de plusieurs impacts négatifs de l’investissement : (1) les processus d’acquisition des terres sous-évaluaient ce qui était dû à certains propriétaires fonciers ; (2) l’accès aux sources d’eau serait menacé ; et (3) le projet entravait un corridor biologique réservé aux espèces menacées, dont le jaguar, et les plans de sa reconstruction échouaient. Les communautés ont fait part de ces préoccupations par l’intermédiaire des mécanismes de redevabilité de la BID (mécanisme indépendant de consultation et d’enquête – MICI), de la SFI (Conseiller-médiateur en conformité – CAO) et de la BEI (CM).  Le MICI a proposé une enquête sur la première plainte concernant les impacts environnementaux qui n’a pas été approuvée par le Conseil d’Administration. Cela dit, une deuxième demande des propriétaires fonciers concernés a été traitée par un processus de résolution des conflits. En 2019, le CAO a constaté des cas de non-conformité concernant l’acquisition de terres et le déplacement d’habitants et il surveille ce cas concernant des propriétaires terriens non vulnérables. En ce qui concerne la biodiversité, le CM n’est pas parvenu à des conclusions définitives, et il a recommandé de suivre l’évolution du projet. En résumé, ce cas montre que même un projet qui favorise la durabilité peut avoir des impacts sociaux et environnementaux négatifs, qu’il convient de traiter.

New Forests Company : Plantations et expulsions

Contrairement au projet d’infrastructure hydroélectrique précédent, il peut sembler plus difficile de voir pourquoi nous avons également besoin d’un mécanisme de redevabilité pour les investissements dans les secteurs de l’agriculture et de la sécurité alimentaire.  Cependant, les cas issus des dispositifs de gestion des réclamations révèlent que les projets agricoles peuvent avoir des impacts sociaux et environnementaux dévastateurs. Le troisième cas, Agri-Vie Agribusiness Fund, est un fonds de capital-investissement destiné à investir dans des entreprises agroalimentaires en Afrique australe et orientale soutenu par la SFI en 2011. Ce fonds a notamment investi dans New Forests Company (NFC), une société forestière basée au Royaume-Uni qui cultive des plantations de bois en Afrique de l’Est. Depuis 2005, la NFC exploite trois plantations de pins et d’eucalyptus dans les districts de Mubende, Kiboga et Bugiri en Ouganda.

Selon un rapport d’Oxfam de 2011, entre 2005 et 2010, environ vingt mille personnes ont été expulsées pour donner place aux plantations de la NFC, sans consultation, compensation ou autre proposition foncière. Une partie du problème était liée au régime foncier ; les titres coutumiers ont été ignorés par les autorités nationales, qui présentaient l’expulsion comme une procédure contre les empiètements illégaux. Avec les conseils d’Oxfam et de l’Uganda Land Alliance, les communautés locales ont déposé des plaintes devant le CAO et le CM. Le CAO a mené le processus de règlement des différends avec ces communautés, et les parties sont parvenues à un accord en 2013. Elles ont convenu d’un programme commun de développement durable au profit de la communauté touchée, comprenant des possibilités de réinstallation et la création d’une coopérative communautaire pour porter les projets de ces populations.

Les investisseurs peuvent adopter un mécanisme de redevabilité collectif

Ces études de cas confirment ce que nous savons depuis longtemps : le fait d’écouter les communautés touchées par les projets peut révéler les effets imprévus de projets bien intentionnés. En l’absence d’un mécanisme de redevabilité, les investisseurs manquent d’informations essentielles, nécessaires pour comprendre l’impact net de leurs investissements. Même parmi les investisseurs privés qui se sont déjà engagés à respecter des normes environnementales et sociales strictes, aucun ne dispose d’un mécanisme de redevabilité permettant aux communautés concernées par leurs investissements d’être entendues. Cette lacune menace de compromettre l’efficacité du travail crucial des investisseurs dans des projets de développement.

Comment ces investisseurs peuvent-ils avoir accès aux retours des communautés concernées, qui se sont avérés être une source d’apprentissage et de résolution des conflits vitale pour les institutions financières de développement ? Ils peuvent mettre en place des mécanismes de redevabilité sur le modèle des institutions financières de développement. Ce système pourrait prendre la forme d’un dispositif de redevabilité collectif doté d’un personnel réduit, éventuellement logé dans un réseau d’investisseurs existant, qui reçoit les plaintes des communautés et facilite une réponse fiable. Cette approche consistant à créer un mécanisme partagé, plutôt que des mécanismes de redevabilité sur mesure pour chaque investisseur, permettrait de réduire considérablement les coûts individuels tout en offrant d’immenses avantages pour les parties prenantes.

 

[1] Les informations des cas examinés proviennent de documents accessibles au public et déposés auprès des mécanismes de redevabilité. Nous savons au sein d’Accountability Counsel, que les communautés locales concernées par les projets disposent de plus d’informations et de contexte que ce qui est documenté. Cet article n’a pas pour but de donner un avis sur la question de savoir si les documents accessibles au public recensent correctement les informations.